ÉDITORIAL
       
 
   
   
Édito N° 1 - juillet 2008  
      

 

 

LA PARABOLE DU CHERCHEUR NOMADE

 

Il y a une vingtaine d’années un Premier ministre proclama que « la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde.» La sentence fit fureur. Elle se propagea partout, des boat people du Sud-Est asiatique aux radeaux des côtes africaines. Ce fait d’évidence ne fut contredit par personne et, aujourd’hui encore, on répète inlassablement la formule implacable, litanie du malheur contre laquelle nos prières ne peuvent rien, comme pour se convaincre de sa fatalité… Je partageai la tristesse des familles qui durent quitter notre République pour avoir cru trop vite qu’on y inventait toujours, malgré tout, un petit coin de liberté. Je me souvenais que mes grands-parents, fuyant la Révolution russe, avaient trouvé refuge et protection dans notre beau pays.
Alors, pour faire renaître un espoir digne de ceux qui l’avait à tout jamais perdu, je me suis dit que l’on pourrait, peut-être, avec beaucoup d’amour, de patience et de passion, accueillir, un jour, toute la beauté du monde… Qu’avais-je pensé !… Comment ce mirage enfantin avait-il pu me traverser l’âme !… Toute la beauté et la misère du monde, étreintes pas les mêmes bras, comme ceux d’une divinité hindoue, dans une communion de l’être qui métamorphoserait la souffrance en joie, l’horreur en harmonie !… Mais où réaliser ce rêve improbable ?… Où lui chercher un espace réel ?…
Et puis, soudain, il me vint à l’esprit l’image d’une île dont j’ignorais le nom mais qui existait !… quelque part !… j’en étais sûr, par je ne sais quelle subite crédulité ! …
Pourquoi une île ? Sans doute parce que c’est en bateau qu’on s’échappe, qu’on se noie ou qu’on se sauve, comme le raconte Arthur Rimbaud dont l’ivresse fit reculer l’horizon des mers, et que « l’île » est un symbole de délivrance qui s’accouple aux navires de la liberté comme à ceux de l’esclavage. Tant qu’on rêve d’une île, on supporte les chaînes en espérant s’en délivrer. N’est-ce pas ainsi que le poète, encore lycéen, reclus dans son grenier de Charleville-Mézières, peignit un océan qu’il n’avait jamais vu, pensais-je, pour me persuader que ma quête n’était pas si déraisonnable…
Après vingt ans d’escales décevantes, je vis, au loin, apparaître une ville portant le nom de la fleur qu’on offre en gage d’amour… L’Haÿ-les-Roses…
À ma stupéfaction, une île flottait vraiment au centre de la cité… « La Roseraie »… lac de verdure entouré par les récifs des barres d’immeubles et les phares de la prison de Fresnes… paradis silencieux au carrefour des autoroutes assourdissantes… splendide, mystérieuse, intacte en dépit de la houle des passants et des voitures venant battre contre ses berges !… Je fus ébloui, tant ce lieu d’errance, qu’une prédestination occulte avait choisi pour moi, semblait rescapé d’un antique naufrage ! Je m’arrêtai avec, au cœur, une prémonition !… Était-ce le terme de mon périple ? Allais-je jeter l’ancre à cet embarcadère où viendraient accoster les beautés nomades qui me hantaient, telles les sirènes d’Ulysse au chant ininterrompu dont Le Bateau ivre m’avait appris le solfège ensorceleur ?
Je me suis amarré, non sans mal, à cet ultime rivage, à « cette halte de la dernière chance », me disais-je, trop fourbu pour repartir, sachant que mon voyage alors ne connaîtrait plus de fin… Et puis, j’ai vu sur le quai des personnes inconnues qui ne paraissaient point effrayées par mes mauvaises manières et mon étrange langage… Elles me souriaient… J’ai serré leurs mains généreuses, embrassé leurs visages accueillants et compris, en lisant l’avenir dans leurs yeux, que j’étais arrivé à bon port…
Ils étaient quatre pour rêver avec moi le songe d’un festival des droits humains et des cultures du monde… Ils furent des milliers à le rendre réel lors de sa première édition. Combien seront-ils demain, de part le monde, à nous rejoindre ?...

Georges Boukoff

 
   
     

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